Benjamine d'une fratrie de cinq enfants, tu es celle par qui l'on aurait dû recoller les morceaux, quelque dix années suivant la naissance de ton ainé direct; vaine tentative de faire famille quand l'argent seul uni six individus qui ne se ressemblent en aucun point. Tu es pour ta génitrice l'ombre au chef-d'œuvre, pour ton père l'oisillon tombé du nid qu'il est question de protéger à tout prix —◆— À l'instar des précédents, on te promet à l'avenir brillant qui te revient légitimement, tel un droit divin de régner sur un commun des mortels quelque peu navrant. Pourtant, tu n'as ni choisi la médecine, ni la politique, pas non plus la physique, encore moins l'économie, la recherche de quelque nature que ce soit, la loi ou le droit. Tu as sélectionné les deux matières qui ne t'ont jamais fait défaut jusqu'à ta graduation; les mathématiques et la littérature. Dans quel but ? Tu n'en as pas la moindre idée; tu poursuis chaque programme conjointement, sans rechigner à la tâche, tu étudies, tu évalues, tu analyses. Aucun métier digne de ce nom ne saura s'extirper de ces études qui n'ont pas de sens, Simone loin des mathématiques appliquées à l'économie, de la littérature appliquée aux arts oratoires, tu fais le pari d'enchainer les années à l'université, sans but aucun, jusqu'à ce que l'on décide que trop c'est trop et qu'il est temps pour toi de quitter cette existence d'errance. Si tu avais pu choisir l'errance comme cursus, tu l'aurais fait sans la moindre hésitation —◆— La gamine nait d'un déni que tu ne te pardonneras sans doute jamais. Elle a cinq ans désormais et tu cernes dans son regard l'âme la plus belle qui t'ait été donné de côtoyer. Votre quotidien ne ressemble à aucun autre, deux enfants sous le même toit; des repas qui n'en sont pas, des veillées tardives et des réveils qui mettent inévitablement chacune de vous dans un retard navrant. Elie dont tu caches la véritable identité à quiconque s'intéresserait, un peu trop, à ta progéniture sacrée, est un animal sauvage qui aura apprivoisé le langage bien avant que tu parviennes à la cerner, elle. Votre équilibre n'en est certainement pas un, mais il convient parfaitement à cette vie parallèle que vous avez construite, loin des foules déchainées de ce monde dont tu t'es extirpée non sans mal, afin de la protéger de tous ses maux —◆— Son ombre te jauge sans mot dire face à la femme qu'il a désormais devant les yeux. Il ne soupçonne pas une seule seconde sa paternité, celle qui partage ses traits,  coup de poignard à ces décennies d'amitié avec l'ainé qui ne t'adresse plus que la condescendance de ses regards qui jugent chacun de tes faits et gestes. Il est le seul, premier et dernier grand amour de ton existence, de ceux vous retournent les tripes, vous laissent sans voix et vous étouffent. Il n'a jamais été pour toi, il n'a jamais été qu'un secret trop bien caché, qu'un rêve de gamine bien trop protégé. Vous n'avez jamais vécu à l'écart des tiens, de votre monde, de ce gouffre qui vous tient à distance respectable l'un de l'autre, mais il est là à présent, et rien de plus que quelques murs de brique ne vous séparent —◆— Hanover est pour toi synonyme d'une solitude qui pourrait sans aucun doute se mesurer aux données quantitatives de tes réseaux sociaux: nulles. Être mère célibataire représente en soi un facteur d'asociabilité prépondérant qui multiplié à: ton irascibilité, ta tendance casanière qui exclu toute forme de sortie comme envisageable en dehors de tes heures de cours, l'éloignement vis-à-vis de tes seules, quelques meilleures amies new-yorkaises qui représentaient à l'époque ton seul moyen de quitter le foyer familial d'une brutalité sans équivoque.